(Article paru dans « Le Journal du Palais », 30 mai 2005)
Louis-Marc Chevignard :
Le Grand connétable de Nuits
Le Grand connétable de la Confrérie des chevaliers du Tastevin, première confrérie vineuse de la région, est un des plus efficaces ambassadeurs des vins de bourgogne et de la Bourgogne aux quatre coins de la planète. Santé !
Le premier bébé bourguignon du dernier demi-siècle sappelait Louis-Marc. Clin dil du destin : le fils de Jacques et Eleonor Chevignard est né le 1 janvier 1950 à 0 h 42, au milieu des alambics de son père, liquoriste chez Cartron. Rien détonnant à ce que le père et le fils aient été amenés, lun après lautre, à animer la Confrérie des chevaliers du Tastevin, une joyeuse compagnie vineuse fondée en 1934, à Nuits-Saint-Georges, par Camille Rodier et Georges Faiveley. A lépoque, il sagissait de lutter contre la morosité viticole engendrée par la crise économique. Le principe, toujours actuel, est simple : puisquon peine à vendre le bourgogne au reste du monde, pourquoi ne pas faire venir celui-ci dans les châteaux, les caves et les celliers de la Côte ?
Le petit Louis-Marc passe son bac au lycée Carnot, à Dijon, et poursuit une maîtrise de sciences éco. Un passage par lInsead, un premier job dans une compagnie dassurance
et le destin, pour la seconde fois, sonne à la porte : la Confrérie des chevaliers du Tastevin décide en 1977 de créer un poste de directeur administratif. Le jeune Louis-Marc a justement été intronisé lannée précédente, avec dautres rejetons des pères fondateurs : Vincent Barbier (lactuel Grand maître), Philippe Senard, François Faiveley, Alain Cartron, tous armés chevaliers selon un cérémonial immuable et cuménique : « Par Noé, père de la vigne, par Bacchus, dieu du vin, et par saint Vincent, patron des vignerons
»
Cest la relève. Louis-Marc accepte le job. Il a un atout, rare pour un Bourguignon : sa mère Eleonor étant américaine, langlais est sa langue maternelle. Ce nest pas négligeable dans une confrérie qui, dès ses origines, a multiplié les commanderies et sous-commanderies outre-Atlantique au point de compter aujourdhui 2.200 chevaliers aux Etats-Unis, sur un total de 13.000 membres (dont 50 % à létranger). Faut-il souligner limportance du marché nord-américain pour les vins de bourgogne ? «Pendant la crise franco-américaine à propos de lIrak, qui a terrorisé tous les producteurs de vins français, se félicite Louis-Marc Chevignard, nous navons enregistré aucune démission.»
Administrer la confrérie nest pas une sinécure. Il faut organiser les «chapitres», ces seize soirées annuelles rassemblant quelque 500 convives en smoking et robe longue, où sont intronisés en grande pompe les nouveaux chevaliers. Il faut superviser la gestion du château du Clos-de-Vougeot, qui appartient à la confrérie depuis 1945, et qui accueille réceptions grandioses et conventions dentreprise. Il faut gérer une dizaine de salariés et veiller à léquilibre des finances (4 millions deuros de chiffre daffaire dont 3 pour les activités commerciales annexes). Il faut parrainer les «Saint-Vincent tournantes» et les «tastevinages» annuels, participer à lanimation des soirées en tant que «connétable», et aussi visiter les commanderies à létranger. Les tournées aux Etats-Unis, en Australie ou au Japon sont autant daction de promotion des vins de bourgogne, mais aussi déprouvantes séries de soirées très arrosées
De sacrés boute-en-train
La plus ancienne confrérie vineuse du pays ne se dirige pas comme une banale entreprise. Le bénévolat, lamitié, la passion exigent de lattention, de lhumour et de la patience. Comme le vin. En compensation, que de rencontres chaleureuses et de souvenirs délectables ! «Des présidents de chapitres comme Mstislav Rostropovitch, Peter Ustinov, Catherine Deneuve ou Otto de Habsbourg, se sont révélés être de sacrés boute-en-train !» Sans parler, plus loin dans le temps, de Fernandel, René Coty, Alfred Hitchkock, François Mitterrand ou Louis de Funès. Et des nombreux anonymes, français et étrangers, restés fidèles à leur promesse de célébrer partout les vins de bourgogne
En 1989, Robert Poujade, maire de Dijon, fait de Louis-Marc Chevignard un adjoint aux relations internationales. «Il fallait notamment entretenir les nombreux jumelages avec Mayence, York, Volgograd, Dallas, etc. Jai découvert un autre monde, dautres valeurs… » Le Grand connétable se complaît davantage, aujourdhui, comme simple conseiller de Corberon (400 habitants), sa commune dadoption, «où lon brasse moins dargent, mais où lon joue plus collectif».
Déguster les meilleurs vins du monde reste la principale obligation du poste. Dur métier. Louis-Marc Chevignard a suivi les cours dnologie de Max Léglise, à Beaune. Son goût est sûr, mais il refuse de prendre le tastevin trop au sérieux : «Ce nest ni de la magie, ni une science exacte ! On peut apprendre à classer ses sensations et à développer sa mémoire, mais il ne faut pas brider son goût personnel : on aime un vin ou on ne laime pas.»
En 2007, la confrérie fêtera son millième chapitre. Sans compter tous les chapitres organisés à létranger pour la venue du Grand connétable. «Ce titre allait jadis au chef des armées du Roy, explique Chevignard. Il armait des milliers de fusil, moi je sers des milliers de canons ! »
B.L.